Edito de Pâques 2022
Pulsion de vie
« Je te l’avais pourtant bien dit ! » Face au vide que laisse mon échec, ces mots résonnent durement. Je me sens coupable de n’en avoir fait qu’à ma tête ; de ne pas avoir suivi les conseils qui, aujourd’hui, prennent l’allure de reproches. « Je te l’avais pourtant bien dit ! » Mais je n’étais pas prêt à écouter, je voulais vivre ma vie comme je l’entendais. J’avais la prétention de penser que je savais, mieux que quiconque, ce qui était bon pour moi. Je reconnais que les mises en garde me faisaient peu d’effets, fort de cet orgueil ordinaire qui me laissait croire qu’il en irait toujours différemment pour moi. Après tout, qui ne tente rien n’a rien. Il faut prendre des risques, quitte à sortir des sentiers battus. A force de se prémunir de tout danger, on s’empêche de vivre. Or, nous n’avons qu’une seule vie ! Mais tout cela est facile à dire, tant que l’on ne souffre pas de ses propres choix. Je m’en rends compte à présent, que j’éprouve un vide intérieur. Je suis désemparé et je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. J’ai creusé ma propre tombe et la pierre s’est refermée sur moi. Est-ce trop tard ? « Je te l’avais pourtant bien dit ! » Mais ça ne me sert à rien de l’entendre, puisque je ne peux pas remonter le temps et réécrire l’Histoire. Je trouve délirant ce « Deus ex machina », qui apparaît subitement sur la scène d’un drame et qui, paré des lumières de la raison, vous enfonce six pieds sous terre. « Je te l’avais pourtant bien dit ! » Qu’a-t-il besoin de flatter son ego à notre détriment ? Il ne s’agit pas de sa vie après tout… J’ai eu tort, j’en conviens, mais j’en paie déjà assez le prix. Quant à celui qui joue les Cassandre, rien ne changera. Il poursuivra paisiblement sa route, me laissant au bord du chemin. « Je te l’avais pourtant bien dit… » Voilà surtout qui le dédouane pour la suite.
Mais quelle suite puis-je encore donner ? Ma vie n’est-elle pas définitivement enterrée ? Je ressasse mes erreurs et je ne vois pas comment je pourrais remonter la pente. Mon cœur s’assombrit à mesure que mes rêves jonchent le sol. Ressentirais-je la pulsion de mort, dont Freud a élaboré le concept ? Selon le père de la psychanalyse, elle consisterait à rechercher le repos absolu, par le retour au néant qui précède toute vie. Cette pulsion se caractériserait par l’autodestruction et l’anéantissement d’autrui… Puisque je n’ai plus rien à perdre, vais-je définitivement sombrer dans le néant et y emporter les autres, victimes de mes frustrations ? Je n’ai pas la foi et il m’est difficile d’espérer. Si je ne crois pas en Dieu, je reste cependant attaché à quelques pratiques traditionnelles. Je fréquente l’église à Noël, aux Rameaux et à Pâques. Je n’adhère pas à ces balivernes, mais elles véhiculent néanmoins des principes moraux, qui structurent les rapports en société. Pour moi, Jésus est mort et les valeurs humanistes en sont les reliques. Ce samedi soir, comme de coutume, je me rends à la Vigile Pascale. Je ris intérieurement à la lecture de l’Evangile. Le texte me semble d’un ridicule consommé. Des femmes y prétendent que des anges, qu’elles seules auraient vus, leur ont annoncé que Jésus était ressuscité, sans pour autant qu’elles le voient. Je me demande bien comment ce récit a fait florès… Comme un éclair de lucidité, une phrase retient toutefois mon attention : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » Je me sens interpellé, comme si ces mots m’étaient directement adressés. Je ressasse sans cesse le passé. Je rumine mes échecs et je suis frustré de ne pouvoir effacer l’Histoire. Je voudrais faire comme si rien ne s’était passé, je voudrais que les autres fassent comme si de rien était. Mais c’est impossible. On ne revient jamais au néant, l’Histoire trace un sillon indélébile. Notre souvenir demeurera pour l’éternité. « Il faut que le fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié. » Cela fait des milliers d’années que l’on fait mémoire de ces faits et de ces personnages, du Christ et de ses bourreaux. Une mémoire qui semble toujours d’actualité, puisque le drame du Messie se rejoue à chaque fois que le péché des uns crucifie les autres. Puisque le néant n’est qu’une illusion, quelle solution s’offre à nous ? Puisque rien ne s’efface, sommes-nous condamnés à errer dans le souvenir des maux ? Jésus nous propose alors une porte de sortie. Il incite à créer de nouveaux souvenirs, des souvenirs heureux, ceux dont on fera aussi mémoire pour l’éternité. Des souvenirs qui porteront les stigmates du mal qui nous aura affectés, mais dont on aura beaucoup appris pour notre propre bien et celui de tous. « Il faut que le fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite. » Le principe du Christ part d’une simple observation : la vie avance en se gorgeant de nos expériences et, avec elle, il nous faut aller de l’avant. Pour aller de l’avant, il faut d’abord se réveiller de nos torpeurs et se lever… C’est tout cela à la fois que Jésus appelle la résurrection. Mais la vie effraie parfois… Pour tout dire, je suis effrayé… Je ne peux m’empêcher de projeter ce qui m’est arrivé sur ce qui m’arrivera. L’Histoire n’est-elle pas un éternel recommencement ? Je crains de retrouver les mêmes souffrances, les mêmes échecs. Puis-je me prémunir de tout mal ? J’en doute. Il s’agit de quitter le monde des morts, celui des regrets, des remords, des rancœurs et des reproches qui ne servent à rien. D’une certaine manière, je dois sortir du tombeau, où je m’enferme à force de regarder en arrière. Mais est-ce vraiment possible ? « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » Cette parole m’obsède. Sûrement fait-elle écho à une envie très profonde, celle de vivre plus que tout. On pourrait la définir comme une pulsion de vie naturelle, qui cherche par tous les moyens à sortir de l’impasse. Et si Jésus, bel et bien ressuscité, représentait un point d’appui pour rebondir, pourquoi m’en priver ?
Après tout, qu’ai-je à perdre à croire en sa résurrection ? Qui ne tente rien n’a rien, il suffit de répondre à cette pulsion de vie !
Père Raphaël Prouteau
Joyeuses fêtes de Pâques !