Édito du dimanche 10 janvier 2021 – Baptême du Seigneur
La revanche de la cigale
Une fourmi ayant travaillé toute l’année, se trouva fort dépourvue quand l’orage fut venu. En un éclair, d’un coup de pied, la fourmilière s’affaissa tout entière et l’œuvre d’ouvrières acharnées fut ruinée. Une vie de labeur perd tout sens, quand un rien peut réduire à néant tous les efforts et rendre inutiles les voraces dépenses.
Éperdue, une fourmi trouva refuge chez la cigale sa voisine. D’heureuse compagnie, elle chantait la douceur de vivre, aux heures chaudes où l’astre du jour darde sa lumière.
« J’ai éprouvé tant de mépris envers toi, lança la fourmi démunie. Tu ne cesses de penser aux rimes, qui rythment la mélodie de tes idées. Tu te consacres aux choses de l’esprit, qui ne rapportent nul argent et n’édifient rien de tangible. Tu étais à mes oreilles l’écho du vide, qui conduisait ta voie à sa perte. Mais que reste-t-il à présent de mes certitudes ? Un amas de terre qui enfouit ma vie de fourmi…
Cet aveu émut la cigale tombée des nues. Elle n’avait pas imaginé que le plaisir de vivre pût être critiqué. Elle n’avait jamais songé que l’esprit pût être dévalorisé. Mais la cigale est miséricordieuse, c’est là sa moindre qualité.
« Que fais-je aux heures délicieuses ? dit-elle à l’infortunée. De mes ailes, j’élève les âmes à l’envi. Je chante la joie. Je la révèle, je la provoque, je la ressuscite. Je sème cette heureuse graine qui féconde le labeur, car le plaisir est le premier moteur de toute entreprise. Le premier moteur, que le Stagirite nommait Dieu. Perle des cieux, le plaisir produit un nectar divin, que l’on nomme d’un nom latin : Carpe diem. On me dira fort aise de parler ainsi, comme s’il était facile de jouir de la vie. Cependant, nul n’échappe aux heurts de l’existence, parfois violents. Je chante et je danse malgré tout, puisqu’on me dit l’insecte le plus bruyant de la planète. Le froid de l’existence engourdit parfois mes ailes et menace de faire taire ma louange. Alors, je sue sang et eau pour témoigner qu’il n’est pas un jour sur Terre sans une étincelle de grâce… Il ne tient qu’à nous de faire l’effort de la reconnaître et de chanter à tue tête : Carpe diem ! »
Carpe diem, divin apophtegme de ceux qui aiment, jusqu’aux exigences suprêmes. Carpe diem, humaine maxime de la plaisante grâce, dès lors que l’homme sait goûter le divin nectar de la vie.
La nature en fournit la fable, à ceux qui écoutent la Parole de la céleste Table. La revanche de la cigale parle aux âmes franches qui ne détalent, lorsque l’orage fait rage.
Père Raphaël Prouteau, curé