Edito du dimanche 19 juin 2022
« J’ai aimé être avec vous »
« Et puis, il y a ceux que l’on croise, que l’on connaît à peine, qui vous disent un mot, une phrase, vous accordent une minute, une demi-heure et changent le cours de votre vie. » Alors que je songeais à ces huit années vécues à Saint-Michel, j’ouvris un livre, que l’on venait de m’offrir, et je découvris ces mots de Victor Hugo, laissés en guise de dédicace. Il est de ces rencontres, dont on ne peut imaginer la portée. Elles relèvent d’un mystère, quand l’écho d’un regard, d’un sourire, d’un mot ou d’une discussion dépassent infiniment notre intention. Ce qui nous est naturel, simplement parce que nous éprouvons de la sympathie pour les gens, prend une toute autre dimension. Un Autre parlerait-il à travers nous, quand nous faisons du bien à ceux que nous croisons et sans même nous en rendre compte ? Et Dieu m’a parlé à travers vous, chers Porchifontains. J’ai aimé ce temps passé dans notre quartier, grâce à ces rencontres qui ont dessiné mon quotidien. Croyants ou non, catholiques ou d’une autre religion, vous m’avez fait l’honneur de votre considération. À la croisée des chemins, nous nous sommes retrouvés sur les mêmes sentiments d’humanité. Et je crois profondément que c’est alors qu’on peut changer la face du monde. Vous avez ainsi nourri ma foi et mon espérance. Vous avez été, pour le prêtre que je suis, l’écho de Dieu. Pour cela, merci !
Cependant, comme une écharde plantée dans notre cœur et qui nous préserve de l’orgueil, nous nous heurtons parfois à des incompréhensions et à des désaccords, qui blessent et engendrent jusqu’à des colères. Nous n’avons sûrement pas tous les torts, mais nous avons aussi nos torts. Aurions-nous alors préféré ne jamais nous croiser ? Il serait puéril de le penser, car la vie est ainsi faite et elle est bien faite. En se côtoyant, nous nous confrontons nécessairement à nos limites respectives, à nos défauts, à nos humeurs, à nos imperfections. On suscite obligatoirement des agacements, si ce n’est plus. Devrions-nous fuir toute relation pour autant? Nous finirions seuls et nous ne nous supporterions même plus nous-mêmes, car nous devons aussi faire face à nos propres travers, qui nous blessent tout aussi bien. Il n’est pas de vie sans rencontres et il n’est pas de rencontres sans pardon. Seule la miséricorde nous permet de tisser des liens durables, dissipant l’obscurité qui chagrine. Et la vie n’en est que plus belle à Porchefontaine.
Mais il faut dire toute la vérité. Nous sommes aussi confrontés à des hostilités, qui ne connaissent parfois aucune limite. C’est un risque à courir, quand on s’engage au service du bien commun, un risque dont Jésus nous avait avertis : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. » Il évoquait le sort réservé à ceux qui s’engagent pour les autres. Comme pour nous rassurer, il est de coutume d’entendre alors « qu’on ne peut pas plaire à tout le monde. » S’il est vrai qu’on ne peut correspondre à chacun, il n’est pas pour autant question de séduction. Nous ne nous engageons pas pour être aimés et flatter ainsi son ego, mais par amour d’autrui. Nous voulons apporter notre contribution au bonheur des Hommes, en leur consacrant notre temps et en leur offrant nos talents. Nous nous engageons car, comme le dit Nietzsche, « nous voulons être de ceux qui rendent belles les choses. » L’adversité a ceci de bon qu’elle éprouve nos motivations, elle vérifie la qualité de notre engagement. Nous aurons donc essuyé quelques tempêtes, parfois très déstabilisantes. Comme Pierre sur les eaux tourmentées, nous avons gardé les yeux fixés sur Jésus. Il nous a rappelé que la vérité parlait d’elle-même ; qu’il ne fallait jamais rendre le mal pour le mal ; qu’il fallait payer le prix du don de soi, mais que l’amour des autres le valait bien. Avec vous, je voudrais alors redire la prière scoute, héritée de Saint Ignace de Loyola et véritable charte de vie : « Seigneur Jésus, apprenez-nous à être généreux. À vous servir comme vous le méritez. À donner sans compter. À combattre sans souci des blessures. À travailler sans chercher le repos. À nous dépenser, sans attendre d’autres récompenses, que celle de savoir que nous faisons votre sainte volonté. »
Chers Porchifontains, l’heure est venue de vous quitter. Comme dit le poète,
« il ne faut prendre en ses bagages que ce qui vraiment compta. » J’emporte alors le souvenir de nos rencontres, comme autant de portes ouvertes sur le cœur, où se révèle l’Essentiel de nos vies. J’emporte votre confiance, qui fut une vraie grâce et restera le plus beau cadeau que vous pouviez m’offrir. Petits et grands, vous avez profondément compté pour moi et je vous mentirais si je n’avouais éprouver un pincement au cœur en partant. Ainsi va la vie, dont le cours change, sans jamais en oublier la source : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »
Père Raphaël Prouteau, qui a aimé être votre curé