Édito du dimanche 14 février 2021
Le secret beauté du carême
Il porte le masque de la laideur, les traits aussi répugnants qu’ils provoquent la peur. Le lépreux arpente les rues, en quête d’aumônes à ramasser sur le pas des portes. Il agite une clochette, qui prévient de son passage et permet de le fuir. La solitude est son lot quotidien et personne n’y peut rien. Figure familière des sociétés antiques, à l’heure où les mœurs se forgeaient au creuset de la conscience, le lépreux subit une double peine : condamné par la maladie, il est frappé d’anathème. Acmé de l’ignominie, il devient l’image du péché. Aux yeux des hommes, il représente la parabole d’une âme rongée par le péché, qui suinte le vice et perd toute forme humaine. Qui ne détournerait pas le regard ? Qui n’aurait pas la nausée à l’approche d’un tel pourri ? Ce réflexe peut sembler lâche, mais il est plutôt sain. Il exprime une certaine innocence, celle qui vomit le vice et n’y trouve aucun attrait. Fuir la contagion est un acte de courage méconnu, qui résiste à la curiosité malsaine et préserve la pureté du corps et du cœur. Il est de ces compagnies dont il est bon de se dispenser. Mais les vouons-nous alors à l’Enfer ? Sombreront-elles dans le rejet absolu des hommes, au nom de Dieu ? Rien ne sera-t-il tenté pour les sauver, au risque de les côtoyer et de salir notre sainte naïveté au récit de leurs turpitudes ? Jésus n’a pas hésité à deux fois, il n’a ignoré aucun des lépreux qu’il a croisés. Sous leur aspect abject, symbole du pécheur, il percevait l’aspiration ratée à la beauté. La tentation nous promet toujours les délices d’Aphrodite, sinon elle ne nous séduirait nullement. Mais elle conduit au péché, qui ne produit que laideur et détestation. On ne fait jamais le mal pour le mal, dira par la suite Saint Augustin. Selon lui, on croit se faire du bien en faisant le mal, en contrevenant aux injonctions de la conscience, éclairée par la loi divine et la sagesse humaine. On ne fait pas le mal parce que c’est mal, on le fait parce qu’on y trouve une satisfaction et donc un certain bien. Mais comme il est illusoire, il nous laisse vides et le bien-être s’estompe rapidement, laissant amertume et dégoût de soi-même. Le reflet du miroir nous tourmente et on se voile la face. Mais « l’âme peut être négligée ou mise en sourdine, escamotée voire ignorée par le sujet conscient, elle est là, entière, conservant en elle le désir de la vie », écrira François Cheng. Et le désir de la vie est, pense-t-il, l’aspiration à la beauté. Tout homme recherche le paradis, le lieu des bontés où s’accomplit la parfaite image de ses désirs. Il veut goûter la beauté de l’existence et s’y épanouir. Parfois il y parvient, parfois il se perd dans des chimères. Sa conscience a besoin d’être accompagnée, pour ne pas se laisser berner par les illusions. Elle ne se suffit pas à elle-seule, pour ne pas se laisser gangréner par les fantasmes et perdre ainsi forme humaine. Les morales viennent à sa rescousse, mais demeurent intellectuelles. Elles balisent la voie, mais il ne suffit pas de connaître les apophtegmes pour bien faire. Il faut encore une aide qui soutienne l’effort de la volonté. « Si tu le veux, tu peux me purifier », dira le lépreux au Christ. Il en appelle à Jésus, qui n’est répugné par personne et perçoit la beauté intrinsèque de tout un chacun, malgré l’aspect cabossé de son âme. Il en appelle à la miséricorde divine, qui pardonne et rétablit la santé de l’âme, lorsque celle-ci aspire à la vraie beauté et s’efforce de quitter la fange du péché. La beauté, telle est l’aspiration profonde, qui sauvera le monde de ses impasses. L’aspiration à la beauté, tel est le secret du carême pour recouvrir notre santé.
Père Raphaël Prouteau, curé